Marcher.

Publié le par Gabonia Maria Madeus

Marcher.

               J’avais pour habitude de regarder mes pieds, en marchant. Comme si les regarder pouvait m’empêcher de tomber. Je titubais, je marchais jamais très droit, et il m’arrivait de trébucher sans raison. Il n’y avait pas d’obstacle insurmontable sur mon chemin, il n’y avait pas de danger, pas de menace, mais je n’arrivais pourtant jamais à marcher droit comme les grandes personnes. Ma démarche était ridicule, et risible. Ma démarche était lente et parfois rapide, comme si je peinais à trouver mon rythme, alors qu’en réalité, je n’avais aucune idée de ce que je faisais. A l’époque, je voulais marcher comme les grandes personnes, celles qui ont la tête haute. Je voulais marcher avec grâce et élégance, je voulais marcher droit, sans tomber. Je voulais marcher comme ces gens qui sourient quand ils vous croisent dans la rue. J’avais cette idée naïve qu’il fallait marcher ainsi pour être quelqu’un, qu’il fallait avoir une belle démarche pour devenir quelqu’un, et j’étais désespérée, car il me semblait bien que jamais je ne pourrais marcher avec autant de dignité.

               Un jour que je regardais mes pieds frapper le sol, tendant mes bras pour trouver un faible équilibre, il s’est mis à pleuvoir. Je voyais les larmes de pluie s’insinuer dans les creux de mes pompes, discrètes, et les océans se créer sur les trottoirs pluvieux. Et alors que je continuais ma route, tout en observant les grandes personnes, j’ai pensé à ma façon de marcher. J’ai pensé à la manière dont je mettais un pied devant l’autre sans y penser, à la manière dont mes pieds s’approchaient du sol pour s’y poser tranquillement sans que j’aie à y faire attention. J’ai pensé à tout ce dont je ne pense pas d’ordinaire lorsque je marche, et j’ai compris. J’ai compris que le problème n’était pas que je n’arrivais pas à marcher droit, mais plutôt l’intensité déconcertante avec laquelle je souhaitais marcher droit. Mes pieds savaient déjà leurs pas, je n’avais pas à leur apprendre, ni à les surveiller, car ils pouvaient d’ores et déjà marcher. Mais mes yeux, rivés sur leurs collègues piétons, ne voyaient pas le chemin. Je ne titubais pas à cause de mes pieds, je titubais parce que je ne voyais pas ce qu’il y avait devant moi, je ne voyais pas où j’allais.

               Lorsque le soleil est revenu, je me suis arrêtée. J’ai senti sur ma peau les rayons du soleil printaniers, comme des caresses subtiles. J’avais pour habitude de regarder mes pieds, en marchant. Alors, une dernière fois, j’ai regardé mes pieds. Une dernière fois, j’ai regardé la manière dont ils se posaient sur le sol, en faisant un pas de plus. Et, en faisant un dernier pas, j’ai pensé à ces grandes personnes qui marchent la tête haute, et je me suis dit que pour marcher droit, il fallait déjà pouvoir voir où l’on va. Il ne suffisait pas de vérifier scrupuleusement que mes pieds étaient bien en train de faire un bon boulot, il fallait voir où ils me portaient. Alors j’ai relevé la tête, j’ai regardé le ciel droit devant moi, et j’ai marché.

Publié dans Divers, Vie, Nouvelles

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